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L’enquête interne menée par l’employeur : un exercice qui ne s’improvise pas

Enquête interne : seule une méthode rigoureuse préserve l’entreprise du risque de voir son compte-rendu rejeté par le juge.


Au sommaire :

  • Un compte rendu d’enquête interne n’a pas de valeur probatoire spécifique.
  • L’enquête interne doit être sérieuse, vérifiable et complète.
  • Les juges du fond apprécient la valeur probante d'une enquête, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

Cet article a été par Guillaume Talneau et Odile Frankhauser, avocats seniors managers au sein de l’équipe Droit Social d'EY Société d'Avocats.

La Cour de cassation a apporté une clarification jurisprudentielle importante sur la valeur probatoire d’un compte rendu d’enquête interne. Ce document n’a pas de valeur probatoire spécifique. Il peut être contredit par toute preuve contraire, et son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans cette affaire, une société du secteur du conseil avait licencié pour faute grave un Directeur associé, en se fondant sur une enquête interne menée conjointement par l’employeur et le CHSCT de l’époque [1](destinée à établir des faits de harcèlement sexuel).

Le compte rendu d’enquête n’était pas exempt de critique puisque, si l’enquête avait donné lieu à quatorze entretiens, seuls cinq comptes rendus avaient été produits devant le juge. En outre, certains témoignages étaient anonymes, sans justification particulière, et aucun élément matériel ne venait corroborer certaines accusations.

Le salarié contestait la réalité des faits et la régularité de la procédure. La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, lui a donné raison en jugeant que le rapport, incomplet et peu rigoureux, ne suffisait pas à établir la matérialité des faits reprochés. Le licenciement a donc été jugé sans cause réelle et sérieuse.

Ce faisant, la Cour de cassation apporte une clarification sur la valeur probatoire du compte rendu de l’enquête interne : celui-ci n’a pas de force probante automatique. Sa crédibilité dépend de sa qualité, de son exhaustivité et du respect des principes de contradiction et d’impartialité. Autrement dit, le compte rendu d’enquête interne peut être discuté et contredit par toute preuve contraire, et il appartient aux juges d’en apprécier la valeur au regard de l’ensemble du dossier.

À ce titre, les entreprises peuvent utilement se référer aux recommandations de la Défenseure des droits (décision-cadre du 5 février 2025), qui propose une méthodologie exigeante pour la conduite des enquêtes internes : confidentialité, impartialité, traçabilité et formation des enquêteurs sont essentielles pour garantir la crédibilité de l’enquête et limiter le risque contentieux. Il s’agit de recommandations, et non d’un cadre normatif obligatoire, mais elles constituent aujourd’hui la référence en la matière.

Précisons également que, s’agissant des témoignages anonymes, la Cour de cassation a déjà admis leur utilisation sous conditions : ils doivent être corroborés par d’autres éléments et ne peuvent, à eux seuls, fonder une sanction disciplinaire. Dans un arrêt du 19 mars 2025[2], la Cour avait pour la première fois admis la recevabilité de témoignages anonymes sous réserve de respecter certaines conditions ; elle a précisé que l’anonymat est admis pour protéger les témoins, à condition que les noms des auteurs des témoignages puissent être recueillis par un commissaire de justice, permettant ainsi au juge d’en apprécier la fiabilité et la crédibilité.

La décision commentée rappelle ainsi que la qualité de l’enquête interne conditionne sa valeur probatoire. A ce titre, les entreprises doivent veiller à ce que leurs enquêtes internes soient menées avec une rigueur méthodologique irréprochable pour éviter tout risque de rejet sur le terrain probatoire. Dans les situations sensibles (harcèlement, discrimination, conflits graves), il est recommandé de recourir à des professionnels externes, tels que des cabinets d’avocats, afin de garantir la crédibilité du rapport et sa recevabilité devant le juge. Cette externalisation constitue aujourd’hui un levier stratégique pour limiter les risques financiers et réputationnels liés à une enquête mal conduite.

Ce qu'il faut retenir

La valeur probatoire d’une enquête interne dépend de la rigueur méthodologique appliquée ; une approche irréprochable est indispensable pour éviter son rejet par le juge. Dans les situations sensibles, l’externalisation auprès de professionnels qualifiés constitue un levier stratégique pour garantir la crédibilité du rapport et limiter les risques financiers et réputationnels.


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