Cinq jours après sa nouvelle nomination à Matignon, le Premier Ministre, Sébastien Lecornu, a présenté en Conseil des ministres, le 14 octobre 2025, les PLF (Projet de Loi de Finances) et PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) pour 2026, ainsi qu’un « projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales ». L’engagement du Premier Ministre à ne pas recourir à l’article 49-3 pour le budget favorise une évolution significative des projets de textes lors de leur examen au Parlement. Les débats qui ont déjà commencé par voie de communiqués de presse interposés seront nourris et les négociations entre les différents groupes parlementaires et les nombreux amendements qui seront déposés laissent supposer des modifications importantes de ces projets de textes.
Le gouvernement entend, par ce projet de budget pour 2026, poursuivre l’objectif de rétablissement des comptes de la sécurité sociale en vue d’un retour à l’équilibre en 2029.
Ces projets de textes, dont l’examen au Parlement vient de démarrer, comportent plusieurs mesures impactant les entreprises en matière sociale.
Augmentation des contributions patronales sur les niches sociales
Le PLFSS prévoit que :
Le forfait social, à la charge des employeurs, sur les indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite serait augmenté de 10%, passant de 30% à 40%. L'objectif du gouvernement serait de mettre un terme aux « stratégies de contournement du régime social propre aux indemnités de licenciement ou à la démission de salariés », comme le souligne l’exposé des motifs.
Les avantages financés par l’employeur ou le CSE seraient soumis à un forfait social de 8 %, dû par les employeurs. Seraient concernés, les titres-restaurants, les chèques-vacances, les chèques-cadeaux ou les activités sociales et culturelles. Le projet du gouvernement vise « afin de lutter contre les phénomènes de substitution aux salaires », à aligner le régime social de ces compléments de salaires et de les assujettir à un taux préférentiel de forfait social.
Formation professionnelle
Selon le PLF :
L’apprentissage serait de nouveau impacté par la suppression de l’exonération de cotisations sociales salariales en faveur des apprentis, pour les contrats signés à compter du 1er janvier 2026, sans « remettre en cause la situation des contrats en cours ». La loi de finances 2025 avait déjà abaissé le seuil d'exonération de 79 % à 50 % du SMIC.
Le CPF (Compte de Formation Professionnelle) ferait l’objet de « mesures de régulation de son utilisation » : possibilité de plafonner le montant des droits mobilisables pour les actions de formations non certifiantes comme le permis de conduire et d’exclure les bilans de compétences.
De plus, le projet de loi de lutte contre la fraude prévoit l’obligation d’inscription et de présentation à l’examen en cas de mobilisation des fonds du CPF ; un droit à contrainte pour le directeur de la Caisse des Dépôts et Consignations afin de recouvrer les sommes indûment utilisées.
Travail dissimulé
Le projet de loi de lutte contre la fraude prévoit un renforcement de la solidarité financière dans les chaînes de sous-traitance, via notamment la création d’une nouvelle obligation de vigilance pour les maîtres d’ouvrage qui auraient l’obligation de vérifier périodiquement la situation de leurs sous-traitants sur les chantiers. Un décret devrait préciser les documents devant être fournis pour s’assurer du paiement des cotisations sociales et ainsi lutter contre le travail dissimulé. Il s’agit de lutter contre les situations de sous-traitance en cascade grâce au mécanisme de solidarité financière qui serait instauré.
Par ailleurs, les mesures conservatoires en cas de travail dissimulé seraient renforcées, grâce à l’instauration d’une procédure de « flagrance sociale », permettant au directeur de l’organisme de recouvrement, sur le fondement du procès-verbal de carence, de geler les actifs des entreprises lors d’un contrôle URSSAF via la mise en œuvre de saisies conservatoires.
Santé au travail
Le PLFSS prévoit un durcissement des règles concernant les arrêts maladie : la primo-prescription des arrêts serait limitée à 15 jours en cabinet de ville et 30 jours à l'hôpital ; les motifs de l'arrêt devraient désormais figurer sur l'avis, permettant un contrôle accru de l'Assurance maladie.
Pour les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, la période d'indemnisation de l'incapacité temporaire serait plafonnée à quatre ans pour un même sinistre et au-delà d'un délai fixé par décret, ces victimes basculeront en incapacité permanente.
Une refonte du système de reconnaissance des maladies professionnelles serait prévue.
Pour lutter contre la fraude dans le champ des accidents du travail et des maladies professionnelles, le projet de loi a prévu de compléter le dispositif des pénalités financières à disposition des caisses.
Le PLFSS préconise de ne plus rendre obligatoire, la visite médicale de reprise après un congé maternité. L'objectif serait de favoriser une reprise rapide du travail et de réduire les indemnités journalières (1,4 SMIC depuis le 1er avril 2025 contre 1,8 auparavant) versées entre la fin du congé et l'obtention de la visite.
De même, les règles dérogatoires en matière d'indemnités journalières pour les Affections de Longue Durée (ALD) « non exonérantes » (dépression légère, troubles musculosquelettiques) seraient supprimées. Les assurés atteints d'une affection nécessitant un arrêt d'au moins six mois, sans reconnaissance en ALD exonérante, se verraient appliquer les règles de droit commun.
Création d’un congé supplémentaire de naissance
Le gouvernement entend poursuivre l’objectif visant à « favoriser la conciliation des temps de vie parentaux et professionnels, de permettre la garde des nourrissons par leurs parents et de favoriser le partage des tâches parentales entre femmes et hommes dès l’arrivée de leur enfant ». Instauré par le PLFSS, ce congé, créé à compter du 1er juillet 2027, serait ouvert à chacun des deux parents et d’une durée d’un ou deux mois, au choix du salarié, dans la limite de 9 mois après le congé de maternité, de paternité ou d’adoption. L’assurance maladie financerait en partie ce congé selon des modalités devant être fixées par décret.
Suspension de la réforme des retraites
Lors de son discours de politique générale du 14 octobre 2025, le Premier Ministre a annoncé qu’« aucun relèvement de l’âge (62 ans et 9 mois) n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028. En complément, la durée d’assurance sera, elle aussi, suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028 ». Un amendement au PLFSS 2026 avait été envisagé par le Premier Ministre, ce sera finalement une « lettre rectificative » au PLFSS 2026, actée par le Conseil des ministres spécial du 23 octobre 2025.
Le Premier Ministre a par ailleurs proposé, « dans les prochains jours, d’organiser une conférence sur les retraites et le travail, en accord avec les partenaires sociaux », qui « pourra rendre ses premières conclusions au printemps prochain ».
De son côté, Monsieur Jean-Pierre Farandou, Ministre du Travail, a évoqué trois pistes pour la réforme des retraites : d’une part, le retour du système à points, abandonné en 2020 à cause de la pandémie de Covid (chacun a le choix du moment de son départ) ; d’autre part, la retraite par capitalisation (le salarié épargne sa propre retraite) ; enfin « un mélange de plusieurs systèmes ».
Le PLFSS 2026, présenté en Conseil des Ministres, le 14 octobre 2025, reprend déjà certaines mesures sur lesquelles les partenaires sociaux se sont mis d’accord en juin 2025, à savoir un gel pour 2026 puis une sous-indexation des pensions de retraite de 2027 à 2030 et l’amélioration de la retraite des femmes ayant eu des enfants.
Par ailleurs, le cumul emploi-retraites serait modifié par le PLFSS, selon les recommandations de la Cour des comptes, pour permettre aux retraités modestes de compléter leur revenu et revenir à l’objectif initial de la réforme des retraites.
Le dépôt des textes sur le budget dans les délais permet de respecter le temps de discussion parlementaire fixé par la Constitution pour une promulgation avant le 1er janvier 2026. L’examen du PLF et du PLFSS commence respectivement le 20 octobre et le 23 octobre 2025 devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, pour un examen en séance publique début novembre. Les débats s’annoncent vifs au Parlement sur le projet de budget 2026 dont l’adoption par le Parlement sera déterminante pour l’avenir du gouvernement actuel. Ces textes seraient, une fois adoptés, probablement soumis à la censure du Conseil constitutionnel. De nombreuses questions juridiques seront certainement soulevées et notamment la question de la rupture d’égalité des futurs retraités au regard de la suspension pour l’avenir de la réforme des retraites en cours de mise en œuvre.