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Influenceurs : prévenir les risques des laboratoires pharmaceutiques

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Face à l’utilisation croissante des réseaux sociaux, les laboratoires pharmaceutiques doivent connaître et mitiger les risques encourus.


Les laboratoires pharmaceutiques peuvent :

  • Identifier les éventuels risques liés à l’influence exercée sur les produits qu’ils commercialisent ;
  • Mettre en place des mesures de remédiation par exemple en contractualisant avec certains influenceurs ;
  • Connaître et respecter les obligations et bonnes pratiques qui leur sont applicables.

Le 26 septembre 2024, l’Organisation Mondiale de la Santé annonce une collaboration avec la plateforme de vidéos mobiles de courte durée, TikTok, pour « améliorer la diffusion d’informations scientifiquement fondées sur la santé et le bien-être ». D’après cette communication1, un adulte sur quatre « cherche activement à s’informer sur les médias sociaux et notamment sur TikTok ». A titre illustratif, certains médicaments délivrés sur prescription médicale et réservés aux patients atteints d’obésité sévère ou de comorbidités (le Mounjaro et le Wegovy en France) sont « délivrés sans prescription, détournés de leur usage, voire contrefaits […] [aux] États-Unis, des stars comme Oprah Winfrey ou Elon Musk ont ouvertement vanté les mérites de ces médicaments pour perdre du poids2. » Dans ce cadre, le Ministre de la Santé française a déclaré, le 18 avril 2025 face à la « promotion de substances, au mieux inefficaces, au pire dangereuses voire mortelles », vouloir mener une « guerre » contre la désinformation, lors d’une conférence sur la lutte contre l’obscurantisme et la désinformation en santé.
 

En effet, de nombreux influenceurs (professionnels de santé ou non) utilisent de plus en plus les médias pour promouvoir certains produits de santé, en particulier des médicaments. Il est donc important de rappeler la réglementation qui leur est applicable, les risques à anticiper pour les industriels du secteur, et les actions à mettre en place pour prévenir ces risques.
 

La promotion de produits de santé par les influenceurs sur les réseaux sociaux se heurte à l’encadrement très strict de la publicité.
 

Qu'est-ce que la publicité de médicaments ?
 

La publicité de médicaments est définie comme "toute forme d'information, y compris le démarchage, de prospection ou d'incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments, à l'exception de l'information dispensée, dans le cadre de leurs fonctions, par les pharmaciens gérant une pharmacie à usage intérieur" (article L. 5122-1 du code de la santé publique).
 

Par conséquent, toute personne qui, sur les réseaux sociaux, transmet une information qui vise à promouvoir la vente de médicaments fait de la publicité de médicaments.
 

Or, la publicité de médicaments est encadrée par le code de la santé publique.
 

Ici nous n'étudierons que la publicité des médicaments à destination du grand public (i.e. celle qui a lieu sur les réseaux sociaux).
 

La publicité ne doit pas être trompeuse ni porter atteinte à la protection de la santé publique
 

Premièrement, la publicité pour les médicaments « ne doit pas être trompeuse ni porter atteinte à la protection de la santé publique. Elle doit présenter le médicament ou produit de façon objective et favoriser son bon usage ». Elle doit également « respecter les dispositions de l'autorisation de mise sur le marché ainsi que les stratégies thérapeutiques recommandées par la Haute Autorité de santé » (article L. 5122-2 du code de la santé publique).
 

Par ailleurs, la publicité ne doit pas pouvoir être qualifiée de pratique commerciale trompeuse i.e. ne doit pas créer de confusion avec un autre produit, reposer sur des allégations de nature à induire en erreur concernant la disponibilité du produit ou ses caractéristiques essentielles, ni empêcher d’identifier clairement la personne pour le compte duquel elle est mise en œuvre (article L. 121-2 du code de la consommation) ; par exemple sont réputées trompeuses les pratiques commerciales qui utilisent un contenu rédactionnel dans les médias, payé par l’industriel sans l'indiquer clairement dans le contenu, pour faire la promotion d'un produit. Une pratique commerciale trompeuse expose à deux ans de prison et 300 000 € d’amende (article L. 132-2 du code de la consommation).

Seuls certains médicaments peuvent faire l’objet d’une publicité

Deuxièmement, la publicité ne peut concerner que les médicaments qui bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché (ou un autre type d'autorisation, cf. article L. 5122-3 du code de la santé publique).

Par ailleurs, la publicité auprès du public pour un médicament n'est admise que sous trois conditions3:

  • Le médicament n’est pas soumis à prescription médicale ;
  • Le médicament n’est pas remboursable par les régimes obligatoires d'assurance maladie ;
  • Le médicament ne dispose d’aucune interdiction ou restriction en matière de publicité auprès du public (article L. 5122-6 du code de la santé publique).

l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (« ANSM ») doit réaliser un contrôle à priori

Si ces conditions sont satisfaites, la publicité doit faire l'objet d'une autorisation préalable de l'ANSM (article L. 5122-8 du code de la santé publique).

Dans ce cadre, l’ANSM veille à ce que la publicité :

  • « Ne présente aucun danger pour la Santé Publique,
  • Ne soit pas trompeuse,
  • Joue un rôle d’information auprès des praticiens,
  • Respecte l’autorisation de mise sur le marché du médicament et les stratégies thérapeutiques recommandées par la Haute autorité de santé »4.

Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la publicité auprès du grand public n’est pas permise.

Quid des influenceurs ?

D’après la loi n°2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (la « Loi »), l’influenceur désigne « toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise [sa] notoriété auprès de [son] audience pour communiquer au public, par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, services ou d’une cause quelconque […] ».

L’article 3 de la Loi prévoit que les règles ci-dessus concernant la publicité grand public des médicaments (articles L. 5122-1 et suivants du code de la santé publique) sont applicables aux influenceurs.

Par ailleurs, l’article 4 de la Loi interdit, entre autres, aux influenceurs :

  • la promotion, directe ou indirecte de la chirurgie et de la médecine esthétiques,
  • la promotion, directe ou indirecte de produits, d'actes, de procédés, de techniques et de méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques ;
  • la promotion, directe ou indirecte, de produits de nicotine.

Le non-respect de ces dispositions est pénalement sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende (articles L. 5422-5 et L. 5422-6 du code de la santé publique) et peuvent faire l’objet d’une sanction financière prononcée par l’ANSM (article L. 5422-18 du code de la santé publique).

Quels risques pour les laboratoires pharmaceutiques ?

L’activité d’influence, encadrée ou non par un partenariat avec un influenceur, comporte des risques inhérents à la publicité auprès du grand public :

  • Vente « off label » c’est-à-dire d’utilisation détournée d’un médicament (e.g. traitement du diabète détourné en régime amincissant) ;
  • Ruptures en raison d’une demande largement supérieure à l’offre au détriment des patients en ayant réellement besoin ;
  • Responsabilité en cas de contrat avec un influenceur qui ne respecterait pas les dispositions en vigueur ;
  • Promotion de médicaments contrefaits ;
  • Mésusage des médicaments entrainant des risques pour les patients et le public.

Comment prévenir ces risques ?

Face à ces risques, les laboratoires peuvent, voire dans certains cas doivent, mettre en œuvre des mesures pro-actives et réactives :

  • Identifier les zones de ces risques : connaître et surveiller la réglementation applicable dans les pays de commercialisation ; en parallèle, revoir le portefeuille de produits pour identifier si un produit fait l’objet d’une forte influence (positive ou négative), identifier les messages transmis par les influenceurs, l’existence d’effets indésirables sur le produit objet de l’influence, la légalité des contenus transmis, la qualité de l’influenceur (patient/professionnel de santé), etc.

  • Analyser les risques et mettre en place des mesures de remédiation qui peuvent aller jusqu’à contractualiser avec certains influenceurs :
    • Requérir de l’influenceur qu’il respecte la législation applicable en rappelant :
      • le respect des règles propres à la publicité ;
      • si les influenceurs sont des professionnels de santé, le respect des règles déontologiques et professionnelles (indépendance, liberté de prescription et secret professionnel), et des dispositifs anti-cadeaux et transparence ;
      • si les influenceurs sont des patients, les règles encadrant très strictement les relations des laboratoires pharmaceutiques avec les patients (le statut du patient « professionnel » n’existant pas encore ce qui rend ce type de relations très complexe, mais néanmoins possible) ;
    • Contrôler les agissements des influenceurs, et le fait que l’influenceur doit signaler l’existence de tout partenariat rémunéré avec un industriel par une indication explicite sur le sponsoring et l’identité du bénéficiaire ;
    • Veiller éventuellement à obtenir les droits IP des contenus créés par/avec l’influenceur et prévoir une clause en ce sens au contrat ;
    • Encadrer et limiter l’éventuelle responsabilité du laboratoire en cas d’agissements commis par l’influenceur.
  • En tout état de cause :
    • S’assurer de la mise en place d’outils nécessaires à la remontée d’effets indésirables (pharmacovigilance), y compris off-label : en principe tous les effets indésirables dont les titulaires d’autorisations de mise sur le marché (« AMM ») ont connaissance doivent être remontés ;
      • Les forums de discussions / médias contrôlés ou gérés par des industriels doivent être régulièrement contrôlés afin de détecter les éventuels effets indésirables déclarés ;
      • Un média est réputé contrôlé par un industriel lorsqu’il est détenu, financé ou contrôlé par cet industriel (titulaire d’AMM) ;
      • La fréquence des contrôles doit permettre d’identifier les potentiels effets indésirables et de les rendre compte aux autorités compétentes dans les délais ;
      • Pour les médias non contrôlés par des industriels, les Guidelines on good pharmacovigilance practices recommandent de procéder à un contrôle « volontaire » et d’étudier les effets indésirables suspectés afin d’analyser la pertinence de la remontée d’information ;
      • La fréquence de contrôle doit être variable en fonction du risque associé aux produits ;
      • La Charte pour la communication et la promotion des produits de santé sur Internet et le e-media de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé recommande de mettre en place une modération des forums de discussion mis en place par les industriels ;
    • L’exploitant d’un médicament doit identifier et rendre compte d’éventuelles contrefaçons (article R5124-48-2 du code de la santé publique), sous réserve de sanctions (article L5421-14 du code de la santé publique) ;
    • Contribuer à la lutte contre la désinformation.

Les laboratoires pharmaceutiques ont tout intérêt à intégrer ces mesures de suivi et d’encadrement dans une politique interne ou à revoir régulièrement leur politique compte tenu des évolutions rapides, notamment de création de contenu par intelligence artificielle par les influenceurs.

Les mesures en question dépendront en grande partie de la stratégie des laboratoires :

  • monitorer « en aval » les communications des influenceurs indépendants et prendre les mesures nécessaires ;
  • mettre en place « en amont » des partenariats avec certains de ces influenceurs – sans doute avec un focus sur les « patients experts ».

Réflexions stratégiques pour les laboratoires pharmaceutiques

Les laboratoires pharmaceutiques doivent, s’ils ne l’ont pas fait encore, mener une réflexion stratégique sur leur intérêt – ou non - à interagir avec ces influenceurs. Ce sont des relais de communication pour s’adresser directement à des groupes de patients voire indirectement à des professionnels de santé (e.g. Wearepatients). Cette collaboration peut prendre plusieurs formes, par exemple :

  • Partenariat avec un influenceur pour qu’il crée du contenu à poster sur l’espace de l’industriel (site internet, réseau social) ;
  • Partenariat avec un influenceur pour qu’il intervienne lors d’un évènement interne de l’industriel ;
  • Invitation de l’influenceur à prendre part à un évènement interne de l’industriel (advisory board ou panel de retour d’expérience patient) ;
  • Invitation de l’influenceur à prendre part à un évènement extérieur (congrès).

L’avantage de ces partenariats est notamment de contrôler le contenu du message. A noter cependant : le risque que le laboratoire puisse être retenu responsable en cas de non-respect par l’influenceur des dispositions légales applicables, en fonction du degré d’intervention du laboratoire.

Ces relations sont bien entendu à analyser au cas par cas mais aucun laboratoire ne peut désormais ignorer ces influenceurs et tous les laboratoires doivent se doter des outils nécessaires pour monitorer les activités de ces parties prenantes.

Ce qu'il faut retenir

En tout état cause, les laboratoires pharmaceutiques ne peuvent ignorer la publicité véhiculée par les influenceurs sur les réseaux sociaux et les répercussions à grande échelle que celle-ci peut avoir. Il est donc primordial d’identifier les éventuels risques et d’y remédier, voire même de définir une politique stratégique en matière d’influence. 


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