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Modes amiables et contentieux civil : l’instruction conventionnelle, nouvelle norme du juge ?

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Le décret n° 2025-660 consacre un basculement majeur en procédure civile en faisant de l’instruction conventionnelle la nouvelle norme et en dotant le juge d’un pouvoir renforcé d’orientation vers l’amiable. Cette réforme redessine l’équilibre entre justice étatique et modes amiables, et interroge la manière dont les parties pourront — ou devront — structurer désormais la stratégie de résolution de leurs litiges.


Au sommaire :

  • L’instruction conventionnelle devient la règle, le juge n’intervenant qu’en cas de blocage.
  • Le juge doit désormais orienter les parties vers l’amiable, avec possibilité de sanctionner un refus injustifié (amende jusqu’à 10 000 €).
  • Recodification complète des « modes amiables de résolution des différents » (MARD) : médiation, conciliation, procédure participative et mise en état conventionnelle regroupées dans un cadre unifié.
  • Incitation forte : les dossiers instruits conventionnellement bénéficient d’un audiencement prioritaire.
  • Nouveau rôle des techniciens et création d’un juge d’appui pour sécuriser leur intervention dans l’instruction conventionnelle.

Cet article a été co-rédigé avec Charlotte Courregelongue, Senior au sein de l’équipe Droit des affaires d'EY Société d'Avocats.

Dans un décret publié le 18 juillet 2025, le Gouvernement a profondément modifié le cadre procédural applicable aux modes amiables de résolution des différends. Pour la première fois, le Code de procédure civile consacre explicitement la priorité de l’instruction conventionnelle et confère au juge une mission élargie consistant à déterminer avec les parties le mode de règlement le plus adapté au litige. Cette réforme, d’ampleur structurelle, traduit une volonté assumée de faire évoluer la culture contentieuse française vers une justice collaborative, prioritairement orientée vers l’amiable.

Le nouveau texte s’inscrit dans une logique déjà perceptible depuis plusieurs années : favoriser les solutions négociées, désengorger les juridictions et responsabiliser les parties dans la conduite du procès. Mais il franchit un cap supplémentaire en érigeant l’amiable non plus en simple alternative, mais en obligation procédurale, susceptible d’être imposée ou sanctionnée.

Ainsi, conformément aux nouvelles dispositions de l’article 21 du CPC, le juge doit désormais rechercher activement, avec les parties, dès l’ouverture de l’instance, le mode de résolution le plus pertinent. À tout moment, y compris en cours d’audience, il peut orienter les parties vers une médiation ou une conciliation. Le refus injustifié de s’y soumettre peut donner lieu à une amende civile pouvant atteindre 10 000 euros, mécanisme inédit dans le paysage procédural français et révélateur de l’ambition de la réforme.

Cette évolution est d’autant plus significative qu’elle s’accompagne d’une reconfiguration complète de l’instruction du litige. L’instruction conventionnelle devient le principe : les parties, assistées de leurs avocats, déterminent elles-mêmes les modalités de la mise en état — calendrier, échanges de pièces, éventuel recours à un technicien. Le juge n’intervient qu’en cas de blocage ou d’échec de leur collaboration. Surtout, les dossiers instruits conventionnellement bénéficient d’un audiencement prioritaire, créant une incitation procédurale forte à ce mode de fonctionnement.

Le décret clarifie également le rôle des techniciens, dont l’intervention dans l’instruction conventionnelle avait jusqu’ici un statut incertain. Leur rapport peut désormais avoir la même valeur qu’un avis dans le cadre d’une instruction judiciaire lorsque la convention est conclue entre avocats. Le juge peut être saisi pour trancher les désaccords relatifs à leur désignation, leur rémunération ou leurs conditions d’intervention, renforçant la sécurité juridique du dispositif.

Plus largement, la réforme procède à une recodification complète des modes amiables : médiation, conciliation, procédure participative et mise en état conventionnelle sont réunies dans un même ensemble structuré du Code de procédure civile. Cet effort de systématisation vise à rendre le recours à l’amiable plus lisible et plus facilement mobilisable, tout en assurant une meilleure articulation entre amiable et judiciaire.

Cette refondation n’est toutefois pas dépourvue d’interrogations. D’une part, la généralisation de l’instruction conventionnelle suppose une réelle appropriation par les praticiens, alors même que la procédure participative est restée jusqu’à présent marginale. D’autre part, la montée en puissance du rôle d’orientation du juge pourrait susciter des tensions dans certaines situations, notamment lorsqu’une partie considère – parfois à juste titre – que l’amiable n’est pas adapté à la nature du litige ou au rapport de forces existant.

La question de la sanction interroge également : l’amende civile pour refus injustifié constitue un mécanisme potentiellement dissuasif mais dont l’application concrète devra être observée. Le juge devra apprécier le « motif légitime » de manière suffisamment nuancée pour éviter que l’amiable ne devienne un passage formel, vidé de son intérêt.

Malgré ces réserves, cette réforme marque indéniablement un tournant dans la conduite du procès civil. Elle place les parties — et leurs avocats — au centre du processus de résolution du litige, les érigeant en véritables co-constructeurs de la procédure. Elle renforce également la nécessité, pour les cabinets, de maîtriser aussi bien les techniques contentieuses classiques que les outils amiables.

Le décret du 18 juillet 2025 rappelle enfin que la stratégie contentieuse ne peut plus être pensée uniquement sous l’angle judiciaire : elle doit désormais intégrer, de manière structurée, les différentes formes d’instruction conventionnelle et les possibilités offertes par les MARD. La réussite de cette transformation dépendra largement de la capacité des acteurs à s’approprier cette nouvelle architecture et à en faire un outil efficace, et non une contrainte supplémentaire.

Face à ces évolutions, les entreprises doivent anticiper la place des MARD non seulement dans leurs contrats (clauses amiables), mais aussi, plus généralement, dans la stratégie de gestion des contentieux : qui décide de l’amiable, qui négocie, qui est formé à l’amiable…

Ce qu'il faut retenir

  • Le décret généralise l’instruction conventionnelle, désormais la norme dans le contentieux civil.
  • Le juge est tenu d’orienter les parties vers un règlement amiable et peut sanctionner un refus injustifié par une amende pouvant atteindre 10 000 €.
  • Les avocats occupent une place centrale dans la conduite de l’instruction conventionnelle et la coordination entre parties.
  • Les dossiers instruits conventionnellement bénéficient d’un audiencement prioritaire, constituant un avantage stratégique réel.
  • La réforme renforce le rôle des techniciens et fait intervenir le juge pour sécuriser leur mission.
  • Cette évolution marque un véritable basculement : le procès civil devient structurellement orienté vers l’amiable, avec le juge comme garant et catalyseur.



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