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Déduction des intérêts intragroupe : subordination et taux de marché

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Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Bordeaux illustre, une nouvelle fois, la rigueur avec laquelle les juges apprécient la justification du caractère de marché des taux d’intérêts intragroupe1


Au sommaire :

  • Une affaire classique d’emprunt intragroupe et une justification particulièrement étoffée
  • Le point décisif : une appréciation rigoureuse du risque de subordination
  • Une application un peu trop automatique taux du 3° du 1 de l’article 39 du CGI ?

Ainsi dans cette affaire, malgré une démonstration fournie et plusieurs études économiques, la société n’est parvenue à convaincre ni l’administration fiscale, ni les juges d’appel, que le taux de 10 % attaché à ses obligations convertibles en actions (« OCA ») correspondait à un taux de marché.

Une affaire classique d’emprunt intragroupe et une justification particulièrement étoffée

Entre juillet 2015 et juin 2016, la société Alliance Etiquettes a émis trois OCA rémunérées à 10 % et souscrites par des FCPI2, ses principaux associés. En 2019, elle a déposé des déclarations rectificatives afin de déduire de son résultat fiscal les intérêts, qu’elle avait omis de comptabiliser. L’administration fiscale n’a admis la déduction qu’à hauteur du taux plafond du 3° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, rejetant la position de la société selon laquelle le taux des OCA correspondait au taux qu’elle « aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues », conformément au a du I de l’article 212. Le tribunal administratif de Bordeaux a confirmé cette position en rejetant la demande de la société3.

En appel, le dossier présenté par la société à l’appui de sa position apparaît particulièrement fourni : un premier rapport datant 2018, une étude complémentaire réalisée en 2021 et un rapport actualisé en 2024 afin de refléter la situation de la société en 2016. Ces travaux s’appuyaient sur plusieurs types d’analyses :

  • D’abord, une approche macro-économique, fondée sur l’examen d’obligations cotées et non cotées en France et en Europe. Cette méthode permet de situer un instrument financier par rapport au marché dans son ensemble mais elle reste assez générale, ce qui explique que la jurisprudence la considère souvent insuffisante à elle seule4.
  • Ensuite, plusieurs analyses micro-économiques plus ciblées ont été mobilisées : comparaison avec des instruments jugés comparables ; analyse du passif et des caractéristiques de la dette de la société et modélisation du risque de défaut à partir des différentes tranches de dette. Ces méthodes visent à apprécier plus finement le risque propre à la société et aux OCA, en tenant compte de leurs spécificités financières.
  • Enfin, les études incluaient des analyses sectorielles, basées sur la comparaison des ratios financiers de l’emprunteur avec un panel d’entreprises du même secteur, ainsi qu’un exercice inspiré des métriques de notation Moody’s, destiné à évaluer le profil de crédit théorique de la société.

L’ensemble de ces approches, bien que variées dans leur angle d’analyse, aboutissait à des fourchettes de taux proches (entre 8,8 % et 11,3 %), cohérentes avec le taux contractuel de 10 % des OCA que la société estimait ainsi comme représentatif du taux de marché qu’elle aurait pu obtenir auprès d’un prêteur indépendant.

Le point décisif : une appréciation rigoureuse du risque de subordination

Si la cour administrative d’appel de Bordeaux admet la pertinence générale des méthodes utilisées, elle écarte toutefois l’ensemble des analyses pour un motif central : une prise en compte « imparfaite » de la subordination des OCA.

Les OCA étaient en effet subordonnées aux dettes bancaires senior : en cas de difficulté, les banques sont remboursées en premier. Ce rang inférieur justifie en principe une rémunération plus élevée. Mais, dans cette affaire, les dettes senior arrivaient à échéance entre 2022 et 2023, tandis que les OCA n’étaient remboursables qu’en 2030. Pour la cour, une fois les dettes bancaires éteintes, la subordination perdait sa portée et le risque devait donc être apprécié en tenant compte de cet échelonnement. L’absence d’une modélisation précise de cette temporalité conduit, selon la juridiction, à une surestimation du risque et justifie de ne pas retenir les analyses produites par la société.

Une telle analyse est légitime et un échelonnement précis aurait renforcé la robustesse méthodologique des études.

Toutefois, en l’espèce, les OCA demeuraient subordonnées pendant sept à huit ans, une période conséquente et correspondant généralement à la phase de risque maximal (levier initial, volatilité opérationnelle, incertitude sectorielle) : que la subordination cesse ultérieurement n’efface pas le risque significatif supporté sur cette première moitié de vie de l’instrument.

De plus, les caractéristiques des OCA (remboursement in fine, absence de flux intermédiaires de remboursement, capitalisation annuelle des intérêts), accroissaient structurellement la prime de risque, indépendamment de l’évolution future de la dette senior. Ce point n’est toutefois pas traité dans l’arrêt, et l’on ignore si cette dimension a été mise en avant lors les échanges avec l’administration ou la cour.

Enfin, la disparition des dettes senior à partir de 2023 réduit mécaniquement la subordination, mais ne préjuge pas de la structure d’endettement future. Sans affirmer qu’un refinancement interviendrait, il n’est pas rare qu’un groupe recoure à un nouvel endettement senior. Les analyses produites semblaient d’ailleurs intégrer cette dimension en modélisant un risque global de crédit et non une situation figée.

Il convient également de relever que l’arrêt ne discute pas séparément chacune des méthodes présentées par la société. La juridiction se contente de constater que la prise en compte de la subordination n’est pas suffisamment précise pour établir un taux de marché fiable. Or, parmi les approches mobilisées, la subordination n’était explicitement intégrée que dans l’analyse du passif, et possiblement, de manière implicite, dans l’analyse du risque de défaut par tranches de dette. Les autres méthodes - obligations comparables, analyses sectorielles, méthodologie Moody’s, actualisation 2024 - ne semblent pas directement reposer sur cette notion. La cour estime néanmoins que l’insuffisance relevée affecte la démonstration dans son ensemble...

Une application un peu trop automatique taux du 3° du 1 de l’article 39 du CGI ?

Sans surprise, en l’absence selon la cour de preuve suffisante que le taux d’intérêt des OCA correspondait au taux de marché, celle-ci valide la décision de l’administration d’admettre la déduction des intérêts dans la limite du taux « forfaitaire » du 3° du 1 de l’article 39 comme le prévoit l’article 212.

Si l’application de ce taux « forfaitaire » est prévue par l’article 212 en l’absence de preuve d’un taux de pleine concurrence plus élevé, les financements bancaires obtenus par la société, conclus nécessairement dans des conditions de pleine concurrence, ne pouvaient-ils pas constituer un point de référence pertinent dans l’hypothèse où leurs taux – qui ne sont pas précisés dans l’arrêt - seraient plus élevés que celui du 3° du 1 de l’article 39 ? En effet, ces financements expriment la perception réelle du risque de crédit du groupe par des prêteurs indépendants. 

Ce qu'il faut retenir

Au final, cet arrêt illustre à nouveau la nécessité d’une démonstration particulièrement précise et complète pour établir un taux de marché intragroupe. Dans cette affaire, la prise en compte de la subordination intégrant l’échelonnement précis des OCA par rapport à la dette senior aurait peut-être emportée la conviction des juges. Si, à cet égard, la position de la cour peut se comprendre, il n’en demeure pas moins que le niveau d’exigence est particulièrement élevé : faute d’une justification parfaitement calibrée, c’est encore le taux plafond du 3° du 1 de l’article 39 du code général des impôts qui s’impose. En cela, cette décision rappelle utilement la nécessité pour les contribuables d’anticiper ces exigences et de bâtir une documentation aussi robuste que possible dès l’émission des instruments concernés.